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 Cri de colère et de détresse, cri de révolte !

L V professeur des écoles à Montélimar

 

 Je suis la maîtresse de Gevorg, le fils de Karin et Armen, qui est arrivé  en Cours Préparatoire dans ma classe l'an dernier. Je suis la maîtresse de  Gevorg qui a disparu de ma classe vendredi 16 novembre en laissant toutes ses affaires, même ce gros bâton de colle dont il est si fier.

Je suis la maîtresse de Gevorg et d'autres encore dans la même situation,  qui voient sa chaise vide tous les jours et qui savent que leur tour peut  arriver.

Je suis la maîtresse de 22 enfants de 6 ans qui apprennent qu'en France un enfant peut être obligé de s'enfuir de nuit avec sa famille parce qu'il  n'est pas français.

Je suis une maîtresse qui doit enseigner à 22 enfants, qu'on est tous  égaux, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs, que les lois sont  faites pour nous protéger, que c'est ce qu'on appelle les droits de  l'homme dont on est si fiers en France.

Je suis une maîtresse qui doit arriver à faire comprendre à 22 enfants que  l'on doit résoudre les problèmes en s'expliquant, et que lorsqu'on est  dans son droit on sera écouté et protégé. « parce que c'est ça la justice,  hein maîtresse ? »

Je suis la maîtresse d'autres enfants sans papiers qui me regardent faire  l'appel sans Gevorg et qui continuent à apprendre à lire dans la langue  d'un pays qui ne veut pas d'eux.

Je suis une maîtresse parmi tant d'autres qui devraient tous les jours  essayer d'expliquer l'inexplicable, accepter l'inacceptable, et ravaler  cette rage et ce dégoût d'être la fonctionnaire d'un Etat qui mène une chasse à l'homme abjecte et dégradante.

Aujourd'hui je voudrais vous faire comprendre à quel point mes collègues  et moi-même sommes choqués par ces drames humains, par cette politique de  chiffres, de pourcentages et de quotas appliquée à des personnes, des  hommes, des femmes et des enfants.

Je voudrais vous faire comprendre à quel point cette souffrance engendrée  par cette politique, devient ingérable, insupportable pour nous, comme  pour les enfants et les familles concernées. Je voudrais vous dire à quel  point nous avons mal devant ces bureaux vides, ces cahiers abandonnés et  ces stylos que personne ne vient réclamer.

Je voudrais vous dire à quel point j'ai peur d'arriver en classe et d'avoir perdu Gevorg ou Alexandre ou un autre encore, parce que, non, ce ne sont pas des numéros ou des quotas, mais parce que je les connais, je connais leurs sourires, je connais leurs yeux.

Nous n'en pouvons plus de nous taire et de voir des familles en danger rejetées en toute connaissance de cause ! Nous n'en pouvons plus de nous demander en permanence ce qui va leur arriver là bas !

Nous ne voulons plus être complices de non assistance à personne en  danger.

Je voudrais vous faire partager cette réflexion de William Faulkner :

"Le suprême degré de la sagesse est d'avoir des rêves suffisamment grands pour  ne pas les perdre de vue pendant qu'on les poursuit."

Alors merci à tous  d'être là et de partager le rêve de Karin, Armen, Alexandre, Gevorg et Grigory leurs enfants : Vivre sereinement auprès de nous, venir chaque matin à l'école, et que ce rêve, avec eux et avec tous ceux qu'on veut chasser hors de notre pays, on ne le perde pas de vue.

L V professeur des écoles à Montélimar

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